mardi 17 avril 2007

Tazria - L'unité du peuple juif, un mythe ?

Ah, quel accroche publicitaire !


Parler d’unité du peuple juif, c'est la garantie de soulever les foules et de lancer d'interminables discussions.

C'est réussi à remplir un shabbat après-midi avec un oneg improvisé:"Chers amis, cet après-midi, 3 ateliers débats:

1. le conflit israélo-palestinien

2. l’identité juive

3. l’unité du peuple juif


Résultat: 4 heures de colloque remplies en 2 minutes !

Malgré tout ce qu'on peut en dire, il n'en reste pas moins que l'unité du peuple juif est une problématique considérable, notamment depuis la sécularisation survenue à la fin du 18ème siècle car elle rejoint une question lancinante : qu’est-ce qu’être juif ? Question absurde avant le 18ème siècle, question angoissante après. Nous y reviendrons.


Mais si nous profitions de la Paracha pour regarder ce que la Thora peut nous en apprendre ?

Si vous regardez le début de la Paracha, c'est clair: « une femme qui enfante un garçon (...) devra le circoncire le 8ème jour ».

Grand moment pour tous les garçons juifs: c'est dans ce passage qu'on apprend que nous devons subir une petite opération chirurgicale dès le 8ème jour de notre vie à un endroit particulièrement sensible...

Mais, la chose est tout de même très étonnante. Pourquoi le redire ici ? Nous le savions déjà ! Parachat Lekh-Lekha, D.ieu ordonne déjà à Avraham de se circoncire et de circoncire ses descendants.On ne peut pas être plus clair: "A l'âge de 8 jours, tout mâle parmi vous sera circoncis..." !

Pourquoi cette redondance ?

C'est d'autant plus étonnant que le grand Maïmonide, dans son code de lois, nous dit bien que l'on effectue la circoncision, non pas à cause d'Avraham, mais à cause de ces quelques mots de Tazria: "Au 8ème jour, on circoncira la chair de son prépuce".

Que veut nous apprendre Maïmonide, le Rambam ?


Une chose très importante et fondamentale: ce qui engage le juif du point de vue de sa foi, ce ne sont pas des actes censés rappeler le passé ou des faits héroïques de nos ancêtres.

Ce qui est important pour le juif, ce sont les commandements que la révélation du Sinaï nous a imposés. Le service de D.ieu n'est pas la commémoration d'un passé. C'est la réalisation des commandements que D.ieu nous a ordonnés. C'est comprendre en quoi ils sont importants pour notre attitude et notre vie au 21ème siècle.


Je ne sais pas si ce que je raconte ci-dessus vous parle vraiment. Déjà, je sens que la tension retombe depuis mon premier titre un peu démago...


Mais nous allons essayer d'illustrer cette idée avec un évènement qui s'est produit dans la vie du Professeur Yeshayahou Leibowitz (vous savez, le professeur de neurobiologie, philosophie, médecin, directeur de l'Encyclopédie Hébraïque, grand commentateur de Maïmonide et frère de Nehama Leibowitz que l'on a déjà croisé...vous devez bien connaître maintenant, non ? ;-)) et qui nous renvoie directement à notre fameux problème d'identité juive.

Je vais vous retranscrire intégralement les paroles du Professeur Leibowitz car il jette un éclairage particulier sur le commentaire ci-dessus...et en plus c'est une première approche de Pessah !


A vous Professeur ! (j'ai toujours rêvé de dire ça...):




"Il y a quelques années, je fus invité à participer à un séminaire organisé dans une des plus grandes bases de Tsahal, à l'intention des officiers supérieurs de l'armée et qui eut lieu au milieu de la fête de Pessah. Le thème du séminaire (...) était: "Judaïsme, peuple juif et Etat juif".

Le débat fut très sérieux et les interventions très vives. (..) Sous des angles différents, tous ont abordé le sujet avec gravité, comme une question qui les touchait au plus vif.

Pour ma part, je pointai ce fait important et grave, à savoir qu'un fossé s'était creusé entre Juifs observant la Thora et ses commandements et Juifs qui ne le font pas. Ce fossé n'est pas seulement idéologique, il est aussi, presque nécessairement, existentiel. Deux juifs ne peuvent pas dîner à la même table si seul l'un d'entre eux observe la cacheroute. Les familles observantes ne peuvent envisager de mariage avec des familles qui ne le sont pas, dès lors que l'un des 2 éventuels époux insiste sur le respect des règles de pureté familiale, tandis que l'autre le refuse. De même des Juifs conscients de l'être ne peuvent pas travailler ensemble dans le même lieu de travail à cause du respect différent qu'ils portent au Shabbat. Et pourtant, la cuisine et la table, le sexe et la vie conjugale, le travail, constituent les réalités de la vie.

Nous constatons donc que nous ne pouvons pas mêler nos vies.

L'un des participants, un officier supérieur de Tsahal, fit remarquer que Pessah appartenait au patrimoine national commun. Même si nous le concevons d'une manière différente, nous faisons tous le seder (..) parce que nous avons tous conscience que l'histoire du peuple juif a commencé historiquement et symboliquement avec l'évènement de Pessah et que nous souhaitons la poursuivre.

Ces paroles furent prononcées avec une totale sincérité et une grande émotion. Je lui répondis en ces termes: "Imaginez la situation qui se serait produite si je n'avais pas été invité à ce séminaire dans une base de Tsahal. J'aurais sans doute mis à profit les vacances de Pessah pour me promener dans le pays avec ma femme. Nous sommes aujourd'hui accablés par la canicule (...). Supposons par hasard, que nous nous trouvions à côté du village où vous habitez et que nous entrions dans votre ferme. Savez vous que nous n'aurions rien pu boire chez vous, parce que votre vaisselle ne répond pas aux règles de cachérisation ?Vous êtes l'officier qui, dans l'armée, commande à mes enfants et à mes petits-enfants, et moi, je n'aurais pas pu boire le verre d'eau que vous m'auriez proposé. Pessah n'est plus aujourd'hui un patrimoine commun, il exprime plutôt le profond abîme qui existe entre nous".


Très ému, l'officier répondit: "bien que vous mettiez le doigt sur une donnée angoissante du point de vue de la conscience, Pessah reste malgré tout quelque chose qui nous est commun. Nous considérons tous Pessah comme le symbole du début et de la continuation de l'histoire du peuple juif, et nous partageons l'intention et la volonté d'être le maillon qui prolonge cette chaîne historique".

Je fus obligé de relever l'erreur de notre homme.

Je lui dis: "Je comprends et je ressens aussi la sincérité de vos propos et la profonde émotion qu'ils manifestent. Pour vous, Pessah est vraiment un grand symbole de l'histoire du peuple juif. Mais pour ma femme et moi, Pessah n'est pas un symbole, mais la réalité. Pessah ne consiste pas en ce que nous nous souvenions, à travers certains symboles, du début de l'histoire du peuple juif. Pour nous, Pessah signifie que 7 jours durant, nous vivons concrètement une existence différente de celle de toutes les autres semaines de l'année.En effet, avant Pessah, nous, ou plutôt ma femme, nous mettons notre maison sens dessus dessous afin de la purifier pour Pessah. Pour vous, Pessah est une affaire sentimentale, et je ne le dis pas avec mépris car les sentiments sont une chose de très grande importance. Néanmoins, il ne s'agit pour vous que d'une affaire sentimentale, tandis que pour nous Pessah est une données existentielle, une question qui touche à notre vie concrète, d'aujourd'hui, en ce moment, et non pas le souvenir d'un événement historique ou légendaire, qui se déroula il y a 3500 ans. Pessah nous confronte au problème le plus grave auquel le peuple juif et le judaïsme doivent aujourd'hui faire face."


La base de Tsahal où se trouvait le professeur Leibowitz, c'est un des rares endroits (avec les camps EI par exemple) où toutes les composantes de notre peuple peuvent se retrouver et avoir ces discussions.

Une base de l'armée est-elle le seul moyen de pouvoir faire face à des questions telles que « Qu’est-ce qu’être juif » ou « Comment peut-on vivre ensemble » ? Ce serait triste...


Nota : Le commentaire, ainsi que le récit sont issus du livre de commentaires de la Paracha de Yeshayaou Leibowitz "Brèves Leçons Bibliques", chez Desclée de Brouwer.

1 commentaire:

BS a dit…

hmmm dans les ateliers, tu aurais pu aussi mettre "de l'interet de la mehitza"...